Restaurant L’Arpège

Critique gastronomique restaurant Alain Passard L’Arpège

2 visites en 2006 dans ce restaurant véritable laboratoire du goût. Le célèbre Alain Passard, hautement médiatisé, ne peut pas laisser indifférent. Sur l’ensemble des deux repas à l’Arpège (un déjeuner à la carte et un menu dégustation gastronomique), j’ai connu quelques plats inégalables comme des assiettes qui demeurent pleines d’interrogations, certainement dues au désir d’Alain Passardd’étonner à tout prix.

Technicité extrême, originalité, goût du défi et de la contradiction, toujours aller plus loin, dépasser les limites du connu et du déjà vu, du goûté, de l’expérimenté, telles semblent être les motivations premières du chef de l’ Arpège, probablement impliqué comme peu de ses confrères dans sa cuisine et l’art de la création. Et il est vrai qu’on touche à l’exception, on assiste à un concert de jazz, à un festival d’improvisations. Alain Passard est surdoué, brillant, chercheur de neuf, Géo Trouvetou parmi les grands chefs, il accouche de miracles comme parfois de plats dont nous avons apprécié la technicité et l’aspect innovant sans pour autant y prendre un plaisir infini.
Par exemple, je n’ai trouvé à la purée de pommes de terre (ou émulsion plutôt) parsemée de cacao grand cru que peu d’intérêt gustatif, curiosité expérimentale ? Alliance de l’amer et d’une purée liquéfiée à la consistance incertaine. cela ne ressemblait tellement à rien de connu que notre palais, trop peu habitué à ces saveurs et ces textures, n’a pas activé les stimuli du plaisir. De même la jelly de betterave au safran ne nous a pas transcendés malgré l’art de la présentation, les goûts et la noblesse du pistil le plus cher du monde. En revanche, la chantilly au speck, au goût de jambon fumé et à la texture intrépide nous a surpris et amusé, le carpaccio de langoustine, caviar et huile d’olive aussi, malgré son apparente simplicité.

Turbot cuit 2 heures à 60 degrés. Encore une curiosité, le maître d’hôtel nous explique qu’Alain Passard s’est fait construire un four spécial pour la cuisson longue et douce des poissons. Je goûte, il est vrai que le turbot a une saveur et une consistance inhabituelle et inconnue : on sent l’iode, l’algue, le goût de l’eau de mer. On prend la Bretagne dans la bouche, c’est une émotion, mais je ne peux pas dire que ce soit l’extase, c’est différent, un test de cuisson extrême, ultime expérience de recherche et fruit du progrès récent, c’est moderne, nouveau, agréable.

Idem pour la volaille pattes noires et ses légumes, idem pour les tomates aux différents parfums en dessert ou le mille feuilles aérien et léger comme l’air, on découvre du nouveau, de l’audacieux, des prouesses techniques mais qui m’ont rarement transportées. Affaire de goût peut-être et opinion partagée par plusieurs clients dont j’ai collecté les témoignages.

Entre les services des menus dégustations s’intercalent cependant de purs joyaux, des merveilles de finesse et d’exactitude, qui rendent Alain Passard unique.

Le crabe au curry vert est par exemple de la plus haute volée : le crabe, entièrement décortiqué, est exceptionnel de goût et de texture, le curry incroyablement bon, c’est un souvenir impérissable qui devrait figurer au panthéon de la haute gastronomie comme le lieu jaune aux oignons de Jean Michel Lorain ou les belons tièdes pain beurre de Yannick Alleno.

Testez si vous aimez l’innovation, les laboratoires du goût, l’art contemporain appliqué à la table, les creusets d’expériences et si vous aimez vous laisser envoûter par quelques flèches de plaisir pointu et des additions plombées à 400 euros par personne (le menu dégustation s’affiche à 300 euros) qui caractérisent aussi l’unicité de ce grand restaurant de Paris.